Le paysage hospitalier régional en pleine mutation

Depuis 2016, la création des Groupements Hospitaliers de Territoire (GHT) a profondément transformé l’organisation des hôpitaux en Haute-Normandie. Les 9 hôpitaux publics (notamment au Havre, Rouen, Dieppe, Évreux, Elbeuf, etc.) se coordonnent aujourd’hui autour de deux grands GHT : le GHT Rouen Coeur de Normandie et le GHT Eure-Seine-Pays d’Auge. Cette réorganisation vise à mutualiser certaines fonctions administratives et médicales pour préserver la qualité des soins malgré la raréfaction des ressources humaines et financières.

  • En 2023, 88 % des établissements de santé publics de la région étaient intégrés à un GHT (source : ARS Normandie).
  • Depuis 2018, plus de 70 services hospitaliers régionaux ont fusionné ou été réorganisés (Direction Recherche, Études, Évaluation et Statistiques - DREES).
  • Une accélération des mutualisations depuis la pandémie, notamment pour la gériatrie, l’oncologie et la maternité.

Ce mouvement s’accompagne souvent de la fermeture de certains services de proximité, et du choix de concentrer l’activité spécialisée sur les grands hôpitaux de référence, tels que le CHU de Rouen ou le Groupe Hospitalier du Havre.

Fermetures de services : quelle réalité sur le terrain ?

Entre logique d’efficience et souci du maillage territorial, le débat fait rage : depuis 2015, la Normandie a vu une vingtaine de services d’urgences ou de maternité réorganisés ou fermés (source : France Bleu, Ouest-France). Exemple marquant en 2023 : la maternité de Bernay a fermé, obligeant les femmes enceintes à parcourir jusqu’à 50 km pour accoucher à Évreux ou Lisieux.

  • Temps moyen d’accès aux urgences en zone rurale haut-normande : 35 minutes (contre 18 minutes en milieu urbain).
  • 4 maternités supprimées depuis 2010 dans la région.
  • Pour les urgences, les fermetures nocturnes se sont multipliées, essentiellement en période estivale faute de médecins (source : ARS).

Pour les habitants des territoires ruraux et semi-ruraux (Pays de Bray, plateau du Neubourg, Caux), cette évolution engendre :

  • Une inquiétude grandissante sur la rapidité de prise en charge en cas d’urgence.
  • Des difficultés accrues pour les familles et personnes âgées isolées.
  • Des dépenses supplémentaires liées au transport (ambulances, véhicules personnels).

Modernisation et innovations : l’espoir des coopérations territoriales

Face à ce constat, les établissements de Haute-Normandie misent désormais sur des modes de coopération innovants :

  • Permanence des soins mutualisée : plusieurs hôpitaux partagent les gardes et l’organisation des plannings médicaux, permettant de maintenir une offre sur plusieurs sites tout en sécurisant la qualité des prises en charge.
  • Télémédecine : en 2022, plus de 4500 téléconsultations ont été réalisées en Haute-Normandie, contre 900 en 2019 (source : ARS).
  • Centres médicaux avancés : création de “Maisons de santé pluriprofessionnelles” et de structures mobiles pour aller au-devant des populations les plus éloignées (Un exemple : l’“Unité mobile gériatrique” de l’Eure qui parcourt les communes périurbaines et rurales).

Ces solutions ont permis de conserver un accès aux spécialistes (cardiologie, dermatologie, gériatrie…) même dans les secteurs où le maillage hospitalier s’est restreint. Ainsi, le nombre de patients de l’Eure ayant eu accès à de la dermatologie via téléconsultation a augmenté de 42 % entre 2021 et 2023.

Quelles conséquences pour les professionnels du soin ?

Les nouvelles organisations ne bouleversent pas que la vie des patients : le quotidien des soignants change profondément.

  • Mobilité accrue : de plus en plus d'infirmiers, de sages-femmes et de médecins interviennent sur plusieurs sites, ce qui leur impose déplacements et adaptation régulière à de nouveaux environnements.
  • Mutualisation des expertises : des équipes inter-établissements facilitent le partage de compétences, mais la surcharge de travail et le manque de temps pour chaque patient est parfois dénoncé (d’après Santé publique France).
  • Risques psychosociaux : manque de visibilité sur l’avenir des postes, sentiment d’isolement dans les petits hôpitaux, multiplication des astreintes. Le rapport de la commission des comptes de la Sécurité sociale (2023) pointe un taux d’absentéisme de 11,2 % chez les soignants hospitaliers normands, en hausse depuis 2020.

Les impacts mesurés sur la santé des habitants

Si la centralisation de certaines activités s’est accompagnée d’une amélioration des plateaux techniques (IRM, chirurgie spécialisée...), la fracture entre zones urbaines et rurales demeure. Selon l’Observatoire des territoires (CGET, 2023) :

  • 9 % de la population haut-normande vit dans une zone sous-dense médicalement.
  • L’accès à un généraliste est inférieur à 1 pour 1000 habitants dans certains cantons ruraux (notamment dans l’Est de l’Eure et le nord du Pays de Bray).
  • Les hospitalisations non programmées (urgences, décompensations) ont augmenté de 13 % entre 2016 et 2022 dans les zones les plus éloignées des centres hospitaliers de recours.

Cependant, une étude du CHU de Rouen (2022) montre que le taux de mortalité à 30 jours après un passage aux urgences n’a pas augmenté dans la région, illustrant l’efficience des nouveaux circuits d’orientation et du maillage SMUR-SAMU bien conservé.

Le point de vue des usagers : attentes et propositions concrètes

Les associations de patients et de familles se font de plus en plus entendre. Plusieurs attentes et solutions émergent :

  • Développement du transport solidaire : expérimenté dans l’Eure, ce système permet à des bénévoles de conduire les patients vers les centres hospitaliers éloignés.
  • Mise en place de relais santé de proximité : Des communes comme Saint-Romain-de-Colbosc développent des “Maisons de santé” intégrant un accueil-urgence de premier recours.
  • Formation des ambassadeurs santé : Des initiatives locales forment des “relayeurs santé” chargés d’informer, d’accompagner et d’orienter les habitants en difficulté d’accès (programme porté par la Fédération des acteurs de la solidarité).

Des leviers d’amélioration à actionner

Si la territorialisation de l’offre de soins reste globalement en marche, certaines pistes concrètes peuvent renforcer l’accès équitable aux soins pour les habitants de Haute-Normandie :

  1. Encourager la mobilité des professionnels. Faciliter le recours aux “équipes mobiles” et soutenir la prise en charge du temps de déplacement et de logement temporaire, dans les zones rurales isolées.
  2. Pérenniser la télémédecine pour la psychiatrie, les pathologies chroniques et le suivi post-hospitalisation.
  3. Renforcer les partenariats avec la médecine de ville : installation de médecins généralistes salariés par les hôpitaux ou en coopération avec des collectivités.
  4. Valoriser les initiatives citoyennes : intégrer systématiquement usagers et associations dans la gouvernance des GHT.

Perspectives pour une Haute-Normandie solidaire et innovante

L’accès aux soins reste un défi partagé entre tous les acteurs, et la Haute-Normandie n’est pas épargnée par la tension entre centralisation et proximité. Toutefois, la vitalité du tissu local, la créativité des équipes médicales et les solutions portées par les habitants témoignent d’un engagement fort pour garantir le droit à la santé, partout et pour tous. L’avenir s’écrit dans la coopération et l’innovation, avec un cap : replacer l’humain au cœur des organisations hospitalières.

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