Un levier contre les déserts médicaux en Haute-Normandie

Depuis plus d'une décennie, les maisons de santé pluridisciplinaires (MSP) s’imposent comme une réponse concrète aux enjeux de démographie médicale et d’accessibilité aux soins. Alors que les généralistes libéraux étaient jadis la norme en Haute-Normandie, l’émergence des MSP a radicalement changé le paysage. D’après la DREES (Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques), le nombre de MSP a été multiplié par dix en France entre 2010 et 2023. En 2023, on compte 145 MSP en Normandie, dont près de la moitié au nord de la Seine.

Cette dynamique ne doit rien au hasard : sur les territoires les plus ruraux (Pays de Bray, vallée de la Bresle…), ces structures offrent souvent le dernier bastion de médecine de proximité. Avant 2010, près de 20 % des communes normandes étaient considérées comme “zones sous-denses” par l’ARS. Aujourd’hui, l’implantation ciblée des MSP permet à plus de 60 % de la population de Haute-Normandie d’avoir accès à un centre de santé pluriprofessionnel à moins de 15 minutes de route (source : ARS Normandie).

Qu’est-ce qu’une maison de santé “pluridisciplinaire” ? Éclaircissements pratiques

Le terme cache une réalité diverse. Concrètement, une MSP réunit au minimum deux médecins et un autre professionnel de santé (paramédical ou auxiliaire). Leur distinction principale : une organisation collective incluant des projets de santé partagés, souvent validés par l’Agence Régionale de Santé.

  • Médecins généralistes : la clef de voûte, parfois complétés de spécialistes.
  • Infirmiers, kinésithérapeutes, sages-femmes : présents dans plus de 85 % des MSP de la région.
  • Autres intervenants : psychologues, diététiciens, pharmaciens, voire assistantes sociales.

La pluralité d’expertises facilite une prise en charge coordonnée de l’usager, notamment pour les maladies chroniques ou le suivi des personnes âgées, fréquentes en Normandie (selon l’INSEE, 24 % des habitants ont plus de 60 ans, soit 3 points de plus que la moyenne française).

Évolution des modèles : d’espaces partagés à une offre de proximité très diversifiée

Les toutes premières MSP consignaient souvent leurs ambitions à un simple regroupement de moyens (accueil, secrétariat, matériel). Progressivement, elles ont diversifié leur offre :

  • Plages horaires élargies : sur 60 % des sites de la région, ouverture le samedi matin ou tard en soirée.
  • Consultations avancées : interventions ponctuelles de cardiologues, ophtalmologues ou dermatologues plusieurs fois par mois.
  • Prévention active : ateliers “nutrition”, actions contre la sédentarité, dépistages organisés, vaccination antigrippale collective.

Certaines MSP innovent sur le plan architectural, comme à Val-de-Reuil, où des espaces conviviaux (cafétéria, salle de jeux enfants) favorisent la santé communautaire. Ailleurs, des petites MSP mobiles desservent plusieurs communes dans l’Eure, à l’image du projet “MSP roulante” portée par l’Association des Médecins Ruraux, contribuant à désenclaver les zones périurbaines.

Les professionnels changent-ils vraiment leur façon de travailler ?

L’union fait la force : telle est la conviction partagée par les équipes interrogées à Dieppe, Fécamp ou Vernon. Si la cohabitation n’est pas sans difficultés (harmonisation des logiciels, respect de la confidentialité), plus de 75 % des soignants en MSP affirment avoir amélioré leur qualité de vie au travail et la facilité de la prise en charge globale (enquête URPS Médecins Normandie, 2023).

  • Réunions pluriprofessionnelles mensuelles : échanges sur les dossiers complexes, définition de protocoles communs.
  • Coordination autour des patients fragiles : partage d’informations, anticipation des hospitalisations ou retours à domicile.
  • Montée en compétences : organisation de formations internes, journées à thème.

Les jeunes praticiens, de plus en plus engagés dans ces structures, privilégient ce fonctionnement : selon l’Ordre des médecins, 68 % des nouveaux inscrits en Normandie souhaitent exercer en équipe. Un écart marquant avec la génération précédente.

Accès aux soins facilité : des impacts déjà mesurables

Les effets concrets sur l’accès aux soins ne se font pas attendre. Selon les chiffres de l’Observatoire régional de la santé de Normandie (OR2S), la proportion de patients ayant renoncé à une consultation pour raison géographique dans l’Eure a baissé de 22 % depuis l’essor des MSP locales. Les délais pour obtenir un rendez-vous ont chuté de 21 jours à 11 jours en moyenne à Yvetot, après l’installation d’une MSP (source : OR2S 2023).

Pour les patients les plus fragiles, atteints de polypathologies ou en perte d’autonomie, le gain est notable : la filière “personnes âgées” de la MSP de Louviers a coordonné plus de 200 retours à domicile en 2022, évitant de multiples réhospitalisations grâce à la mobilisation de tous les acteurs (infirmiers, aides à domicile, kinés…).

Défis rencontrés et solutions concrètes

Cependant, la réussite de ces structures reste fragile face à plusieurs défis :

  • Recrutement des soignants, notamment dans la partie est du territoire : si 30 % des MSP normandes cherchent au moins un médecin, un point noir persiste côté attractivité rurale (source : CNOM, 2024).
  • Gestion administrative lourde : la saisie des dossiers médicaux partagés et la facturation via des outils numériques freinent parfois l’adhésion.
  • Financements complexes via l’Assurance Maladie et les collectivités, souvent soumis à des appels à projets changeants.

Néanmoins, face à ces obstacles, des solutions émergent. Ainsi, la MSP de Saint-Romain-de-Colbosc a recruté une coordinatrice non-soignante pour centraliser l’administratif, libérant du temps médical. D’autres MSP mutualisent leur recrutement de remplaçants via des groupements d’intérêt public (GIP) pour mieux accueillir les jeunes praticiens.

Exemples d’initiatives et innovations locales

L’évolution ne se limite pas à l’offre médicale stricte. Plusieurs maisons de santé high-normandes s’illustrent par des démarches originales :

  • Maison de santé écoresponsable à Rouen : panneaux solaires, tri sélectif, actions prévention “santé-environnement”.
  • Consultations sans rendez-vous à Elbeuf – Alléger les files d’attente aux urgences en dédiant un créneau chaque matin aux urgences légères.
  • Plateformes numériques partagées : Agenda commun, téléconsultation, dossiers accessibles aux membres de l’équipe (solution “MSSanté” déployée dans 70% des MSP normandes).
  • Groupes de parole patients/proches organisés en collaboration avec les associations locales pour le diabète et la santé mentale.

Perspectives : qu’attendre pour les prochaines années ?

L’attractivité des MSP, aujourd’hui moteur de l’installation des jeunes professionnels en Haute-Normandie, devrait continuer de progresser. Les dispositifs d’aides à l’installation (primes de 25 000 € en zone sous-dense, soutien logistique pour l’emploi du conjoint) renforcent cette dynamique.

Selon une étude prospective :

  • Plus de la moitié des soins de premier recours se feront en exercice coordonné d’ici à 2027 (source : Haut Conseil pour l’avenir de l’Assurance Maladie – HCAAM).
  • Les MSP seront les pivots de l’innovation territoriale en santé : prévention renforcée, développement de nouveaux métiers (assistant médical, intervenant social, ergothérapeute…), implication croissante des usagers et de la télémédecine.

Témoins de la solidarité médicale locale, les maisons de santé pluridisciplinaires incarnent une mutation profonde de la médecine de proximité. S’adaptant constamment aux besoins de terrain, elles seront au cœur des enjeux sanitaires à venir, en Haute-Normandie comme ailleurs.

Sources : DREES, ARS Normandie, INSEE, URPS Médecins Normandie, Conseil National de l’Ordre des Médecins, OR2S, Le Quotidien du Médecin, HCAAM, CNAM.

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